La solitude n’est plus uniquement perçue comme une difficulté de nature privée, dans le monde entier, elle est désormais reconnue comme un défi majeur de santé publique. En France, la proportion d’adultes déclarant se sentir seuls « souvent ou presque tous les jours » est passée de 19 % en 2020 à 29 % en 2022 (Fondation de France. Solitudes 2022: Regards sur les Fragilités Relationnelles). Cette progression présente des risques réels : la solitude chronique est associée à une augmentation de 26 % de la mortalité toutes causes confondues et constitue un facteur de risque reconnu de maladies cardiovasculaires, de dépression et de déclin cognitif accéléré.
Et si une partie de la solution se trouvait juste devant nos portes, dans la nature ? Une étude récente de l’équipe du projet RECETAS à Marseille, publiée dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, explore la manière dont les professionnels repensent la solitude à travers les prescriptions sociales fondées sur la nature (PSfN) : des activités collectives organisées en milieu naturel, comme le jardinage, les promenades ou des ateliers en plein air, conçues pour favoriser à la fois les liens sociaux et le bien-être individuel.
Lire l’étude complète : Conceptualising a Community-Based Response to Loneliness: The Representational Anchoring of Nature-Based Social Prescription by Professionals in Marseille, Insights from the RECETAS Project – Lucie Cattaneo, Alexandre Daguzan, Gabriela García Vélez et Pr Stéphanie Gentile.
La prescription sociale met en relation les personnes avec des activités non médicales dans leur communauté afin de renforcer leur santé et leurs liens sociaux. Les PSfN vont plus loin en inscrivant ces activités dans un cadre naturel, car les données montrent que le temps passé dans la nature réduit le stress, favorise la connexion sociale et restaure la santé mentale.
Le projet international RECETAS pilote des PSfN dans six villes du monde – Barcelone, Helsinki, Melbourne et Marseille – où les inégalités urbaines limitent souvent l’accès aux espaces verts.
L’étude conduite à Marseille a débuté par une exploration des PSfN actuellement conduites par les professionnels de la santé, du secteur social et de l’aménagement urbain, et des facteurs perçus comme facilitateurs ou obstacles à leur mise en œuvre. Le premier constat de cette phase de diagnostic est que les NBSP restent largement méconnues : une cartographie des acteurs locaux en 2021 montrait que 89 % des professionnels marseillais ne connaissaient pas le terme.
Deuxième ville de France, Marseille illustre l’entrecroisement complexe des inégalités sociales, territoriales et environnementales.
Ses quartiers nord connaissent des taux de pauvreté élevés, un réseau de transports publics limité et un déficit d’espaces verts (à peine 5 m² par habitant), bien en deçà des 9 m² recommandés par l’Organisation mondiale de la santé.
Pour de nombreux habitants en situation de vulnérabilité (jeunes, personnes âgées à faibles revenus, personnes en situation de handicap ou atteintes de maladies chroniques, familles monoparentales précaires) la nature apparaît lointaine, à la fois physiquement et symboliquement.
Les professionnels interrogés décrivaient ces quartiers défavorisés comme « recouverts de béton, sans même un arbre », en contraste frappant avec les quartiers plus privilégiés et verdoyants. Ils notaient aussi que les habitants de ces zones défavorisées se sentent souvent « pas à leur place » dans les espaces naturels environnants, comme le parc national des Calanques.
Les chercheurs ont mené 12 entretiens approfondis avec des professionnels de trois domaines : travail social, santé, et nature en ville. Cinq grands thèmes se dégagent :
L’étude met en lumière à la fois la promesse et le paradoxe des PSfN. D’un côté, elles offrent une réponse communautaire et peu coûteuse pour lutter contre la solitude et réduire les inégalités de santé. De l’autre, leur succès dépend du dépassement de barrières systémiques : accès inégal à la nature, rigidité institutionnelle, et précarité quotidienne des personnes les plus touchées par la solitude.
À retenir ? La nature seule n’est pas un remède, mais associée à des approches participatives et communautaires, elle peut contribuer à retisser les liens sociaux et à réduire la stigmatisation de la solitude.
À Marseille et dans les autres villes RECETAS, le défi est désormais d’intégrer les PSfN dans des politiques publiques plus larges, afin qu’elles atteignent celles et ceux qui sont les plus exclus de la vie sociale et des espaces verts. Il s’agit de recréer des liens entre les habitants et leur environnement, dans un monde où la solitude progresse parallèlement à l’urbanisation.