
[Interview] Marie Baduel et Amine Benaissa : les Séminaires Métropolitains, récit d’une formation à l’expertise territoriale en immersion
Pour mieux comprendre l’expérience des Séminaires Métropolitains, Marie Baduel, directrice adjointe de l’Agence des Villes et des Territoires Méditerranéens Durables (AVITEM), et Amine Benaissa, architecte-urbaniste et professeur associé à la Sorbonne, reviennent sur la genèse, les souvenirs, les enjeux et les rencontres vécues lors de ces aventures métropolitaines.
Une décennie de formation et d’échanges en Méditerranée
Depuis plus de dix ans, les Séminaires Métropolitains sont une plateforme unique de formation, d’échanges et de co-construction autour des enjeux urbains en Méditerranée.
« Les métropoles sont là, elles se sont déployées et continuent à se développer. »
D’ici 2030 – dans seulement cinq ans – la région méditerranéenne comptera 500 millions d’habitants, dont une majorité vivant dans des métropoles. Ce processus de métropolisation, qui voit les grandes villes s’étendre à l’échelle territoriale, est un phénomène mondial, posant des défis majeurs d’aménagement. « C’est la ville à la grande échelle, impliquant des enjeux majeurs, et des stratégies de projet. »
Face à cette urbanisation rapide de la Méditerranée, quels sont alors les principaux enjeux pour notre génération et les suivantes ? « Doit-on laisser la ville se déployer sur l’espace agricole ? Naturel ? Sans ligne de force, sans projet commun, au gré des opportunités et de l’initiative ponctuelle ? »
« Je crois que le point de départ, c’est que dans les séminaires métropolitains, on n’est pas pour ou contre les métropoles. Ces espaces sont majeurs et servent l’attractivité d’un territoire » précise Marie Baduel.
Des territoires méditerranéens sont soumis à des injonctions communes porteuses d’incertitudes entre changement climatique, crises économiques, problèmes de cohésion, montée en puissance de la société civile dans les formes de gouvernance et de nouveaux contextes du savoir, notamment avec l’intelligence artificielle.
C’est précisément pour décrypter ces dynamiques et proposer des pistes d’action que les Séminaires Métropolitains existent. « Faire le point sur une métropole en une semaine » avec une méthode autour de quatre fondamentaux :
- Etudier les dynamiques des processus de métropolisation.
- Comprendre, décrypter et se projeter – une ouverture sur d’autres territoires.
- Privilégier les débats et les contradictions fécondes aux fausses vérités qui circulent.
- Co-produire – La capitalisation et l’apprentissage par l’échange.
Dix ans de rencontres pour une culture commune en Méditerranée
Depuis une décennie, les Séminaires Métropolitains rassemblent des professionnels et des experts de l’ensemble du pourtour méditerranéen. À travers ces échanges, une culture commune s’est peu à peu construite, favorisant la coopération et le dialogue entre territoires.
« Je retiens beaucoup d’amitiés, une envie forte de travailler ensemble, beaucoup d’échanges » nous confie Marie Baduel, « sans forme de hiérarchie, sans forme de prise de pouvoir. Dans une logique très constructive et très amicale. Et ça, on en a besoin en Méditerranée. ».
Au-delà des rencontres humaines, ces séminaires ont donné naissance à un véritable réseau d’entraide.
« Les séminaires se sont affinés, consolidés progressivement avec le temps » souligne Amine Benaissa. Trois grandes étapes ont marqué cette évolution : le succès des séminaires franco-allemands, qui ont structuré un important système d’acteurs, en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) et la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) ; l’implication des autorités locales pour coconstruire les séminaires ; et le renforcement du réseau diplomatique français.

Du projet à l’action : articuler réflexion et mise en œuvre
Comprendre un territoire, c’est s’acculturer à son histoire longue, saisir les enjeux contemporains et identifier les leviers d’action.
Entre culture du territoire et mode d’action, les séminaires s’illustrent par l’articulation entre le penser et le faire. Pour passer à l’action en Méditerranée « il faut casser les représentations de difficultés qui semblent insurmontables et enfin penser au projet. Les gens sourient quand on parle de ça parce que c’est devenu comme une musique dans nos séminaires. », exprime Marie Baduel.
Alors on réfléchit ensemble : comment développer une vision d’avenir pour un territoire ? Comment se construit-on une stratégie pour atteindre cette vision ? Pour répondre à ces questions, les séminaires proposent une immersion sur le terrain :
« On marche, on fait l’expérience de la déambulation, on fait l’expérience de la rencontre. Et ces petits pas, ces petits arpentages font qu’on participe physiquement et intellectuellement à une expérience de territoire. »
Ensuite on passe à la tactique, on repère les projets prioritaires « à effet levier », et ce, en immersion. Les séminaires offrent une réelle expérience qui permet de comprendre la mise en marche d’un projet.
Un processus nourri par trois étapes : écouter, synthétiser, transmettre :
- [Acte I] : Exposer et valoriser les projets locaux, avant de les comparer avec les territoires dont les auditeurs sont spécialistes.
- [Acte II] : La synthèse. Produire un document de travail dont tous les participants peuvent bénéficier.
- [Acte III] : Rédiger les Carnets Métropolitains. Une production coconstruite avec l’Université Polytechnique de Catalogne dans le cadre d’un programme européen Erasmus +. Il s’agit d’une diffusion méditerranéenne, européenne voire internationale.
Les Séminaires Métropolitains, 10 ans de souvenirs
Séminaire de Tunis, 2018, Un échange politique spontané
Marie Baduel raconte : « Lors du séminaire sur le Grand Tunis, alors que la métropole était encore en construction, un groupement d’élus existait déjà mais sans s’être jamais réuni. Comme toujours, nous avons clôturé le séminaire par un temps de restitution mené par nos partenaires et nos auditeurs. Ce n’est pas l’AVITEM qui parle au territoire tunisien, ce sont des Algériens, des Marocains, des Albanais, des Libanais qui parlent de l’ensemble des enseignements et ouvrent peut-être quelques perspectives.
La maire de Tunis, madame Souad Abderrahim, invite alors tous les maires de la métropole, réunis pour la première fois à l’occasion de notre séminaire. Et ils ont beaucoup débattu et échangé avec nous, avec un vrai engouement, en prolongeant la discussion jusque tard dans la soirée, bien au-delà de l’horaire prévu. Pour nous, finalement, c’est ça les séminaires, provoquer la rencontre, impulser le dialogue. »
Séminaire de Nice, 2019, Réinterroger le lien entre ville et nature
« Un moment d’étonnement et d’enthousiasme, autour de deux visites complémentaires : d’un côté le Projet Eco Vallée Plaine du Var, un aménagement à très grande échelle territoriale qui joue sur ce rapport entre ville et nature, entre urbain et gestion des risques ; de l’autre, une immersion dans la ville de Nice pour découvrir des projets de renaturation, notamment la promenade du Paillon qui réintroduit la biodiversité dans l’espace urbain. Un parcours qui a permis à nos auditeurs de comprendre l’importance du rapport ville-nature dans toutes ses dimensions : 1. la gestion des risques, 2. la capacité de production et de souveraineté alimentaire, 3. la lutte contre la chaleur urbaine, et 4. le regain des villes-jardins méditerranéennes, une notion présente dans toute la région (Alexandrie, Tunis, Casablanca, Tirana, etc.). Cette imbrication très forte entre la ville et la nature, est très présente, surtout à l’échelle métropolitaine. »


Et après ? Quel impact des séminaires sur les territoires ?
Nous le savons maintenant, les séminaires représentent un moment important de rencontre entre pairs, qui ont tissé des liens solides entre territoires et acteurs. Ces rencontres débouchent régulièrement sur des collaborations concrètes.
Au Maroc, après plusieurs séminaires à Casablanca, Tanger et Fès-Meknès, un programme de formation pour élus régionaux a vu le jour entre l’Association des Régions Marocaines et la région Occitanie. Au Liban, le séminaire du Grand Beyrouth (2022) a inspiré l’élaboration du plan stratégique de Bourj Hammoud 2021-2031 « Ensemble pour un meilleur présent et futur ». En Albanie, le séminaire de Tirana en 2018 a ouvert la voie à plusieurs projets, dont l’étude de la restructuration d’une friche industrielle et d’un agripark puis du projet FEAST (lancé en 2024) sur le sujet de l’agriculture et de l’alimentation. FEAST relie Tirana à trois collectivités françaises Collectivité de l’Île Rousse Balagne, Arghjusta e Muricciu, la Ville de Marseille).
Quelles priorités pour le cycle de séminaires 2025 ?
Pérenniser. C’est-à-dire continuer à « labourer » ce territoire méditerranéen en se concentrant sur deux métropoles déjà connues des séminaires métropolitains : Bologne et Tirana.
Bologne : un des premiers territoires à avoir construit un propos métropolitain avec le plan Cervelatti. L’organisation polycentrique à la grande échelle et la revalorisation à travers le renouvellement urbain du centre-ville ont façonné cette métropole incontournable.
Mais Bologne aujourd’hui doit se reposer les questions contemporaines. Victime de deux violentes inondations entre 2023 et 2024, la gestion du risque inondation et du stress hydrique est au cœur des préoccupations actuelles. On n’ignore pas les problèmes liés à l’attractivité de Bologne, victime de son succès, d’un surtourisme qui provoque un marché du logement en tension, la gentrification du centre-ville ou encore des projets de mobilités qui font débat entre accessibilité et préservation du patrimoine historique. « C’est l’occasion de requestionner nos pratiques contemporaines de l’aménagement dans des contextes historiques et voir comment on peut les adapter. »
Pour Tirana, c’est différent. Ville anciennement soviétique, elle se libère de la dictature d’Enver Hoxha. « On est au début des années 90, donc c’est assez récent. C’était un territoire complètement fermé où la seule propriété autorisée, c’était le vélo. Et les gens n’avaient pas le droit de déménager. »
Puis l’accélération est fulgurante. Une production de logements qui redéfinit les limites de la ville à une époque où l’étalement urbain n’était pas encore vu comme une mise en péril de la durabilité d’un espace. On questionne alors le système écologique de la ville, la forme de développement que l’on imagine pour la suite. Quel est le lien qui perdure avec la terre ?
« Et puis, de façon inspirante, dans ces deux territoires, il y a des maires très impliqués et on sait bien que l’aménagement des territoires, ça se fait avec une volonté politique. »
L’AVITEM aspire aujourd’hui à valoriser pleinement l’expérience et l’expertise acquises à travers les Séminaires Métropolitains. Son ambition est de produire un contenu rigoureux et approfondi, mettant en lumière le travail accompli en amont, pendant et après chaque séminaire, ainsi que la richesse des enseignements qui en émerge.
Deux Carnets Métropolitains seront rédigés, l’un consacré à Bologne, l’autre à Tirana, afin d’analyser et de partager les réflexions stratégiques issues de ces territoires.
Plus que jamais, l’heure est à la transmission et à la mise en valeur de ces connaissances : revisiter les archives, diffuser les acquis et renforcer les synergies autour des projets en cours.
Nous allons continuer d’échanger, de nourrir nos réflexions, de rencontrer, d’apprendre et de construire ensemble (pour la Méditerranée de demain).
