Une “épidémie” de solitude ? L’enjeu autour des groupes en situations de vulnérabilités

La Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre 2024, est l’occasion de revenir sur la problématique des personnes en situations de vulnérabilités socio-économiques, pouvant être confrontées à des multi-vulnérabilités et à des discriminations qui contribuent à impacter leur santé mentale et générer de nombreux obstacles au quotidien.

Le projet RECETAS, financé par le programme européen Horizon 2020, réunit 6 métropoles en Europe, en Amérique latine et en Australie : Barcelone, Cuenca, Helsinki, Marseille, Melbourne, Prague.
 
Comment les équipes du  projet RECETAS à Marseille et à Melbourne abordent ces problématiques lors de leurs interventions ? Comment tirer le plein potentiel de la Prescription Sociale fondée sur la Nature – pour lutter contre la solitude, améliorer le bien-être global et promouvoir la cohésion sociale – malgré des freins qui empêchent un engagement aux activités de groupe ?

Implantation du projet RECETAS à Marseille, France

Conduit par une équipe d’urbanistes et de psychologues sociaux de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (AP-HM), RECETAS s’adresse à des personnes en situation de difficultés économiques, car particulièrement à risque de traverser des périodes de solitude. Ces personnes sont invitées à participer à un dispositif hebdomadaire d’activités de groupes dans les différents parcs et espaces naturels qui entourent la ville.

Les groupes de participants sont composés de personnes qui vivent en foyers d’hébergement, dans des hébergements d’urgence, dans des résidences sociales, qui fréquentent des centres sociaux ou encore des groupes d’entraide mutuelle.

Leurs histoires et leurs conditions de vie peuvent être très différentes les unes des autres : certaines personnes sont issues de parcours migratoires, nouvellement arrivées sur le territoire ou non. D’autres vivent avec une souffrance psychique, certaines vivent avec un handicap. Tous et toutes sont unis par une même réalité : un quotidien confronté à de multiples vulnérabilités.

« En sociologie, la vulnérabilité résulte d’interactions entre les réseaux sociaux disponibles, les inégalités structurelles et les identités individuelles » précise Lucie Cattaneo, psychologue sociale de la santé, ingénieure d’études hospitalières et co-facilitatrice du projet RECETAS au sein du Pôle de Santé Publique de l’AP-HM. Ainsi, si les individus intégrés dans des réseaux de soutien sont davantage préparés à affronter les difficultés, ceux issus de milieux défavorisés subissent plus de risques en matière d’accès à la santé, à l’éducation et à l’emploi.

Favoriser l’engagement des participants au projet malgré les obstacles quotidiens

En raison de leurs situations individuelles, les participants peuvent être confrontés à des difficultés d’emploi du temps liées à leurs emplois ou formations (ou la recherche de l’un ou de l’autre), au temps consacré à leurs démarches administratives diverses, aux rendez-vous médicaux imposés par leurs conditions de santé, ou encore à l’organisation familiale des mères isolées.

Un deuxième type d’obstacle ressort de l’expérience avec les groupes rencontrés, caractérisé par « une crainte récurrente liée à la rencontre avec autrui » indique Juliette Hemery, urbaniste, ingénieure d’études hospitalières et facilitatrice du projet RECETAS au sein du Pôle de Santé Publique de l’AP-HM. « Plus spécifiquement, une appréhension qui peut se rapprocher d’une anxiété sociale, ou d’une crainte d’être discriminé. »

Intégrer un groupe, être confronté aux publics présents sur les lieux visités lors des sorties (musées, parcs, plages, …), autant de possibilités de rencontres avec autrui qui peuvent être complexes pour des personnes cumulant des facteurs de vulnérabilités sociales. Des comportements d’évitement des lieux et événements fréquentés peuvent s’installer et contribuer à une souffrance psychosociale à plus long terme.

Au fil de l’implantation du dispositif et des groupes rencontrés, l’équipe mobilisée sur le projet RECETAS à Marseille a mis en place des actions concrètes pour pallier ces problématiques. Notamment, des coopérations concrètes et pérennes avec des structures partenaires, dont les professionnels jouent un rôle primordial de relai pour faciliter la mobilisation des participant.es.

Comment aborder le stigma de la solitude ?  

« Il est intéressant de noter que ce stigma en est un qui, par définition, demeure peu abordé. On suppose qu’il s’agit d’un tabou. » constate l’équipe RECETAS Marseille, qui a choisi de ne pas évoquer systématiquement, le thème de la solitude lors des interventions. Pour les participants, il est important que les rencontres autour des activités restent des moments d’évasion et de bien-être.

Néanmoins, le sujet peut surgir naturellement lors des échanges, et des ateliers psychosociaux ont permis d’aborder les expériences d’isolement et de solitude dans un espace de groupe sécurisant.

La solitude serait-elle due à de faibles compétences psychosociales ? Bien qu’il s’agisse d’une représentation toujours dominante, des études récentes soulignent le manque de preuves pour l’appuyer. Il en résulte pourtant une stigmatisation des personnes seules, dont de nombreuses études montrent qu’elles sont considérées comme moins aimables, moins adaptées, moins dignes de confiance ou moins compétentes.

Là encore, les études le soulignent, les individus craignent de parler de leur solitude par peur du rejet, ce qui renforce leur isolement et diminue leur estime d’eux-mêmes. Les implications sont nombreuses sur le terrain. Elles se traduisent tant par le malaise pouvant être ressenti par les participants, que par la réticence des professionnels à aborder frontalement la question de la solitude, préférant positiver leur approche en mettant en avant la promotion du lien social.

Le projet RECETAS à Melbourne, Australie

Dans de nombreux pays, y compris en Australie, les demandeurs d’asile et les réfugiés LGBTQIA+ sont confrontés à des contextes et à des politiques qui créent des obstacles importants, en les empêchant d’établir des liens sociaux et d’accéder à des besoins socio-économiques de base tels que le logement, l’emploi et l’éducation.

Ce sont ces groupes que le pilote RECETAS à Melbourne a choisi de suivre, dont la vulnérabilité à la solitude s’explique par le statut politique à l’intersection des violences liées au statut migratoire et au vécu des personnes LGBTQIA+.

« La combinaison de l’isolement social et de l’instabilité économique augmente le risque de problèmes de santé mentale et de marginalisation supplémentaire, rendant encore plus difficile de construire une vie stable » ajoute Nerkez Opacin, chercheur en sciences sociales de la School of Global, Urban and Social Studies de Melbourne.